Page:Jules Bois - Visions de l'Inde.djvu/156

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
142
VISIONS DE L’INDE

si lointain que j’aurais pu le supposer ; car — est-ce une hallucination nocturne ? — deux lueurs phosphorescentes luisent puis s’éteignent, comme d’énormes vers luisants, entre les herbes obscures… Non, je n’ai pas rêvé. Nous traversons bien l’inextricable refuge des fauves, avant de retrouver les bœufs patients et les chameaux gracieux dans les terres cultivées…

J’ai remonté le volet, j’ai fermé la vitre. Ma torpeur a été secouée par ce frisson nouveau. Et, les yeux éveillés, je rêve ; je me rappelle une histoire qui me fut contée par un « chief ingineer » à Calcutta. On venait de créer une ligne nouvelle du côté de Jeypore. Il était alors un simple ingénieur et dormait avec un camarade dans un train provisoire, sur la voie qui chaque jour enfonçait plus loin dans la forêt sa double pince de fer. La chaleur était telle qu’ils laissaient les fenêtres et les portes ouvertes.

« Une nuit, me dit-il, un vent violent souffla sur ma face, je me réveillai haletant ; et je ne vis qu’un bond phénoménal, une sorte de trombe rousse qui passait au-dessus de ma tête. Affolé, je me précipitai sur la voie ; puis, reprenant courage, ayant réveillé les ouvriers et m’étant armé, je m’approchai accompagné de torches. Le wagon était vide. Je n’ai jamais plus revu mon ami. Il avait disparu avec le tigre sans avoir eu le temps ni la force d’un cri… »