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VISIONS DE L’INDE

fièvre emportent plus de huit cents indigènes par semaine sur une population de sept cent mille âmes.

Quand je débarque du Dupleix, je sens aussitôt que je suis dans une ville unique au monde.

J’ai pour compagnon un Français aux moustaches en croc, au visage rose, aux yeux de conquérant. Il a dans les veines du sang de soldat, presque de conquistador. Il raffermira mon inquiétude et soulèvera mon indolence. Déjà il a dompté la nuée de coolies nus et trépidants, ces portefaix aux jambes fléchissantes, aux bras grêles, qui se mettent à dix pour soulever une de nos malles. Comme ils nous persécutent après nous avoir volés, il lève sa canne. Aussitôt ils nous saluent en s’enfuyant. Mon ami connaît le chemin du cœur de cette caste dégradée, peureuse et vénale…

Dans la voiture qui nous emporte loin des quais turbulents de l’Hougli, ce bras énorme du Gange, Calcutta se révèle, levant le voile de son multiple visage, comme une prostituée. Ce sont des jardins immenses, des statues de vice-roi, des jeux de football, de tennis, de polo sur les pelouses ; puis des baraques de foire indigène, de magnifiques avenues où roulent les équipages des Anglais mornes et dédaigneux, des rajahs étincelants, l’aigrette au front. Et, dans une fumée toute londonienne, les monuments grandioses naissent du sol, çà et là,