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VISIONS DE L’INDE

au-dessus du village aux ardoises sommeillantes. Un joyau scintille sur le lac, une pierre de lune, — sans doute, la barque de l’Irlandaise et de l’Anglais malade qui se sont attardés dans les baisers. Ce n’est qu’une brève apparition ; car un arbre, un de ces chênes de l’Inde, aussi hiératique, aussi dentelé qu’un houx, se dresse entre le « tal » et moi. Je bois la nuit comme un philtre. Les déesses montent vers mes lèvres dans le parfum de la nuit ; vers mes yeux, dans la clarté froide, languide, qui enveloppe toutes choses. C’est comme une double femme invisible que je vais posséder. Je n’ai plus peur d’Elles ; Elles ne sont plus cruelles et sanglantes, mais le lait même de la nuit. Des bouches que je ne vois pas frôlent ma peau… Et cette caresse ne ressemble à rien dans l’univers…


… Tout à coup, une clameur affreuse fend le silence. Le bruit d’un choc dans l’eau m’arrive, comme les coups d’aile d’un immense oiseau blessé qui se débattrait avant de mourir.

Mon cœur se glace. Je me précipite vers l’escalier de ma terrasse. Je suis au troisième étage. L’escalier est clos, par précaution contre les voleurs. Je veux crier, appeler, mais l’hôtelier dort très loin d’ici dans une aile séparée de l’hôtel, — vide, puisque le couple est sur le lac…