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VISIONS DE L’INDE

ils étaient morts. J’eus pitié de ce dieu seul et nu comme un mendiant.

— Voulez-vous que je rallume les branches ?

Le sourire dédaigneux abaissa les commissures des lèvres. La tringle de fer réunit les morceaux de bois noir.

— Soufflez, proposa-t-il.

Je soufflai, les charbons restèrent inertes, sans étincelles ; le feu était bien éteint.

Alors, il se baissa sur les braises mortes, parla quelques paroles sanscrites. Les braises pétillèrent. Ces mots avaient créé la flamme.

— Je commande au feu, dit-il.

Un malaise étrange m’étreignit. L’étonnement, la méfiance, le doute, me divisaient. Était-ce un fou, un imposteur, un sorcier ou un saint ? Ce n’était pas un saint, car le saint est humble, et cet homme n’était qu’orgueil.

— Êtes-vous heureux ? dis-je à voix basse.

Un éclair intraduisible traversa l’œil immense. Il m’émut comme quelque chose d’humain enfin, en ce monstre sublime, comme une plainte infinie, secrète, pareille à cette supplication de Lucifer qui, dans le célèbre poème d’Alfred de Vigny, bouleverse Eloa. J’eus, moi chrétien, un immense désir de consoler, de racheter ce dieu égoïste, qui me sembla un damné. Mais l’œil reprit son impassibilité