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VISIONS DE L’INDE

corps dans le piège blanc, parfois je glisse sur le frimas durci ; il me faut saisir les ronces pour me retenir de couler dans le gouffre.

L’Anglais s’amuse énormément, et il me montre sur le tapis perfide de neige des traces de pattes, étranges, légères.

« Léopards », dit-il.

Je crois qu’il plaisante, lorsqu’une branche qui craque non loin de nous me fait tourner la tête. Je m’arrête, étonné.

Peut-être à dix mètres, une bête nous inspecte avec un œil mouvant, inquiet, beau comme l’œil agrandi d’un chat que n’auraient pas terni les médiocres spectacles de nos maisons, mais dont le phosphore serait puisé au soleil libre et dans le sang des proies déchirées.

J’avoue que l’admiration fut plus forte que le malaise. Je sortis pourtant mon revolver ; il était mouillé. Je crois bien qu’il eût été une arme insuffisante, car d’autres léopards glissèrent le long des chênes, prudents et affairés, rentrant, sans doute, de quelque fructueuse excursion. La couleur variée de leur robe se mariait avec cette nature fruste, altière ; ils étaient comme le fruit vivant et fauve de la forêt, la rouille tachetée d’une écorce veloureuse qui marche.

Je sentis mieux les Himalayas devant ces cou-