Page:Jules Bois - Visions de l'Inde.djvu/43

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
29
VISIONS DE L’INDE

hideuse tâche. Ici, sous les « mentrams », prières chantées par des prêtres distraits, des cadavres brûlent.

J’en vois de maigres à faire peur. Ils ont dû périr de famine. Parmi les branches rougeoyantes, leurs membres apparaissent si maigres, si ratatinés, si durcis, qu’on les prendrait pour de minces rameaux de bois sec. D’autres corps éclatent au feu comme des vessies, cous goitreux, ventres ballonnés, des pestiférés sans doute… Et des visages joyeux de vivants se penchent avec des torches pour activer les flammes. Un bec de gaz banal est fixé au mur ; il indique qu’il n’y a pas de chômage ici ; nuit et jour on y travaille pour exterminer les moissons humaines fauchées par ce terrible climat. De sa petite main sèche qui cette fois tremble d’émotion, l’Américaine nous montre sur des charbons consumés, à côté d’un fémur et d’un tibia noircis, quelques touffes de cheveux, des yeux informes aux paupières absentes adhérents encore à un crâne d’où pend la peau noirâtre des joues.

L’horreur nous cloue au silence… Le moine, notre compagnon, lève alors son bras rond et doux comme celui d’une femme grasse : « Pourquoi vous effrayer ? dit-il, les corps ne sont que des vêtements, l’âme en revêt des milliers, l’âme est éternelle ! »

2.