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VISIONS DE L’INDE

des ascètes. À son cou pend le collier de têtes de morts, et un cobra serre sa taille comme une ceinture ; mais ses jambes de bouc sont celles de notre Sathan du moyen-âge que ma jeunesse a minutieusement étudié. Il est accroupi sur la peau de panthère du mystique Dionysos.

« Tu es venu violer mes mystères, me dit-il, aussi bien dans l’antiquité reculée de ton Europe que dans les Indes, chez le peuple encore fidèle à mes rites sacrés et maudits. — Redoute-moi, quoique je n’aie pu exterminer ni ta raison ni ton corps ; mon règne n’est pas achevé. Si ma légende finit, mon histoire réelle commence. J’habite moins aujourd’hui les dernières pagodes avilies où le culte de mon lingham est célébré que dans le cerveau des nations nouvelles à qui j’ai insufflé l’orgueil qui veut diviniser l’homme, le matérialisme idéaliste, les prestiges troubles du spiritisme, le pessimisme de la pensée et la royauté jouisseuse des sens. Tu m’as échappé dans mon passé ; crains les charmes mélancoliques du présent où je m’avance. »


Je me suis levé, j’ai marché en titubant dans le wagon qui vient de traverser les déserts du Punjab et m’entraîne maintenant, par de plus fraîches plaines, vers l’exquise et multiple Bombay, ventilée de souffles marins. C’est la dernière illusion