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VISIONS DE L’INDE

d’oblongues réjouissances. Tandis qu’il se dérobe avec elle dans la pièce voisine, sans autre porte qu’un rideau, je cause avec la patronne qui m’explique avec quelle facilité elle recrute ces martyres inconscientes. Toute famille pauvre est prête, pour quelques roupies, à lui fournir ses enfants. L’amoralité hindoue est illimitée ; les musulmanes sont moins achetables. Mais, en somme, elle n’a pas à se préoccuper d’une troupe spéciale ; à sa disposition se tiennent, à bas prix, toutes les fillettes du quartier. Et je sens qu’elle ne ment pas, qu’elle n’exagère pas même, que la misère innombrable, l’obscure ignorance de toute dignité où le brahmanisme a, pour la dominer mieux, ravalé la populace — si idéaliste cependant par la nature et ses traditions[1], — sont les grandes raccoleuses d’une prostitution endémique ici, comme la fièvre ou la peste.

Avec un éclat de rire, mon camarade m’entraîne loin de la villa lépreuse. « Ah ! mon vieux, la bonne blague ! Imagine-toi, pas de linge ; une simple ablution lui a suffi. Il n’y a eu ni pudeur ni vice, animalité machinale. Elle n’a pas parlé, elle n’a pas cessé de sourire. Seulement, quand je me suis retrouvé droit devant elle, de nouveau enroulée dans son pagne, elle a sauté gentiment et,

  1. Son théâtre est là pour nous le montrer. (Voir le chapitre précédent.)