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pas de singulières réticences dans ses pastorales ? Donc ne soyons pas trop sévère : ne faisons pas la guerre aux vers échappés dans un moment d’oubli à des hommes qui ont fait des chefs-d’œuvre. Mais l’homme en question, mais le marquis de Sade, a fait de ces livres obscènes l’occupation de toute sa vie, mais de ces obscénités qui n’étaient que cela dans la tête des autres écrivains, le marquis de Sade a fait un code entier d’ordures et de vices. Mais pendant que ses confrères ne voulaient que faire passer une heure ou deux aux libertins de tous les âges, lui, il a voulu mettre le vice en précepte : bien plus, il a voulu passer de cette infâme théorie à la pratique. En un mot, et il faut bien le dire enfin malgré tous les détours que j’ai pris, voulez-vous que je vous dise ce que c’est qu’un livre du marquis de Sade, voulez-vous que je vous en fasse l’analyse comme je vous ferais l’analyse d’un livre de M. Victor Hugo ou de M. de Balzac ? le voulez-vous ? Pour ma part, je suis tout prêt ; je suis bien sûr de n’effaroucher personne. Donc prêtez-moi silence, et venez avec moi, ne craignez rien : le marquis de Sade est mort, et même en écrivant ces pages j’ai son crâne sous les yeux.

Mais par où commencer et par où finir ? Mais comment la faire cette analyse de sang et de boue ? comment soulever tous ces meurtres ? où sommes-nous ? Ce ne sont que cadavres sanglans, enfans arrachés aux bras de leurs mères, jeunes femmes qu’on égorge à la fin d’une orgie, coupes remplies de sang et de vin, tortures inouïes, coups de bâton, flagellations horribles. On allume des chaudières, on dresse des chevalets, on brise des crânes, on dépouille des hommes de leur peau fumante ; on crie, on jure, on blasphème, on se mord, on s’arrache le cœur de la poitrine, et cela pendant douze ou quinze volumes sans fin, et cela à chaque page, à