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chaque ligne, toujours. Ô quel infatigable scélérat ! Dans son premier livre, il nous montre une pauvre fille aux abois, perdue, abîmée, accablée de coups, conduite par des monstres de souterrains en souterrains, de cimetières en cimetières, battue, brisée, dévorée à mort, flétrie, écrasée. Il n’a pas de cesse qu’il n’ait accumulé dans ce premier ouvrage toutes les infamies, toutes les tortures. Celui qui oserait calculer ce qu’il faudrait de sang et d’or à cet homme pour satisfaire un seul de ses rêves frénétiques, serait déjà un grand monstre. On frémit rien qu’à s’en souvenir. Le tremblement vous saisit rien qu’à ouvrir ses pages ; puis, quand l’auteur est à bout de crimes, quand il n’en peut plus d’incestes et de monstruosités, quand il est là haletant sur les cadavres qu’il a poignardés et violés, quand il n’y a pas une église qu’il n’ait souillée, pas un enfant qu’il n’ait immolé à sa rage, pas une pensée morale sur laquelle il n’ait jeté les immondices de sa pensée et de sa parole, cet homme s’arrête enfin, il se regarde, il se sourit à lui-même, il ne se fait pas peur. Au contraire, le voilà qui se complaît dans son œuvre, et comme il trouve qu’à son œuvre, toute abominable qu’il l’a faite, il manque encore quelque chose, voilà ce damné qui s’amuse à illustrer son livre, et qui dessine sa pensée, et qui accompagne de gravures dignes de ce livre, ce livre digne de ses gravures ; et de tout cela il résulte le plus épouvantable monument de la dégradation et de la folie humaines devant lequel même la vieille Rome, à son moment de décadence et de luxe, à l’heure où les Romains jetaient leurs esclaves aux poissons de leurs viviers, aurait reculé frappée de honte et d’effroi.

Heureux encore si le marquis de Sade s’en fût tenu à son premier livre ; mais ce premier ouvrage lui en commande un autre. À peine ce roman est-il achevé, que voilà son