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que la servante, bonne et honnête fille qui ne savait pas lire, et qui ne se doutait guère que la lecture d’un livre pût donner la mort, et moi ! l’enfant de la rhétorique parisienne, qui n’avait lu encore en fait de vers défendus que l’ode à Myrrha dans notre poète Horace. Personne autre, personne qui put deviner la maladie morale de Julien, si bien que, le soir venu, Julien, sous prétexte qu’il était malade, se retira encore une fois dans sa chambre, et put continuer à loisir son atroce lecture. Justement ce jour là le ciel se couvrit de nuages, le vent se déchaîna, le Rhône se mit à hurler de toutes ses forces, la corde du bateau qui réunit les deux rives se brisa, et le vieux curé fut forcé de passer la nuit sur l’autre bord, lui et son Dieu qu’il portait entre ses mains.

Hélas ! hélas ! si jamais vous avez apaisé les flots en tumulte, mon Dieu, si jamais vous avez dompté les flots de la mer, si jamais vous êtes sorti de votre sommeil au plus fort de la tempête en disant : Hommes de peu de foi, que craignez-vous ? c’est bien le cas, ô Jésus sauveur ! de passer l’eau encore, de dompter la tempête encore, et de venir au secours du petit Julien que le marquis de Sade enveloppe de son venin mortel ! La tempête dura toute la nuit, le fleuve gronda, le ciel fut en feu, et le tonnerre fatigua les échos des montagnes : mon malheureux ami n’entendait rien, il lisait le marquis de Sade !

Au premier rayon du soleil, le Rhône s’apaisa, le ciel redevient tout bleu, l’oiseau chante, l’arbre relève sa tête fatiguée, le batelier rentre dans son bateau, et le digne pasteur revient à son bercail. Il va d’abord à sa petite église, et il remet sur l’autel le saint ciboire, puis sa prière faite, il rentre à la maison. Moi, j’étais sur la porte dans toutes les joies de la matinée, occupé à attendre le bon curé, je chantais, j’appelais le chien qui attendait son maître devant l’é-