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Cette aventure fit grand bruit, toute la ville fut émue. Cette époque de vice élégant et spirituel ne comprenait guère que les crimes de bonne compagnie, les duels, les trahisons, les rapts de tous genres, les rendez-vous dans la nuit, toute l’histoire de Faublas ou de Casanova ; mais ce fut à grand’peine que la société de ce temps-là ajouta foi à ce meurtre si lâche, si inutile, si cruel, ce meurtre sur une femme ! Le procès du marquis de Sade fut donc instruit en toute hâte, malheureusement, par égard pour la famille à laquelle le coupable appartenait, la procédure fut arrêtée par ordre du roi ; le marquis fut conduit à Lyon dans la prison de Pierre-Encise, qui n’est plus qu’une ruine, où cependant l’on vous parle encore du marquis bien plus qu’on ne parte de H. de Thou ou de Cinq-Mars. Qui le croirait ? six semaines après cet emprisonnement, la famille du marquis de Sade obtint pour lui des lettres de grâce. Ces lettres de grâce portaient en substance que le délit dont le marquis de Sade s’était rendu coupable était d’un genre non prévu par les lois, et que l’ensemble en présentait un tableau si obscène et si honteux, qu’il fallait en éteindre jusqu’au souvenir. N’est-ce pas là un beau prétexte pour relâcher cette bête fauve ? À peine libre, le marquis retourne à ses débauches et à ses crimes. Il était à Marseille en 1772, et il y fit une si grande orgie dans une maison suspecte, que jamais on n’avait entendu de plus horribles bacchanales : deux filles publiques en moururent le lendemain. Le parlement d’Aix condamna cet homme à mort, et son valet avec lui : mais ils se sauvèrent à Chambéri, où on les mit six mois dans une forteresse. Or, ne pensez-vous pas que ce soit ici le cas de remarquer l’inutilité et la cruauté des lettres de cachet ? Au premier assassinat du marquis de Sade, six semaines de prison ; à son second assassinat, six mois de prison,