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pendant que le malheureux Latude y est resté toute sa vie pour avoir insulté Mme de Pompadour ! C’est ainsi que les sociétés se perdent et se suicident elles-mêmes ; dès qu’elles permettent d’emprisonner l’innocent, elles n’ont pas le droit de demander que l’on punisse le coupable.

Mais pourquoi laisser échapper le marquis de Sade de cette prison si fort méritée ? Serait-ce que déjà les prisons vous manquaient ? Et n’avez-vous pas la Bastille ? n’avez-vous pas le donjon de Vincennes ? n’avez-vous pas Saint-Lazare ? n’avez-vous pas tous ces immenses gouffres où vous jetez, sans en rendre compte à personne, le premier écrivain qui murmure une parole d’opposition ? À la fin cependant, le marquis de Sade, toujours pour ses méfaits, fut enfermé à Vincennes. Là, il fut aussi malheureux qu’on pouvait l’être au donjon de Vincennes. Vous connaissez cette prison, vous l’avez vue du haut en bas dans les lettres de l’amant de Sophie : là, tout nu, sans linge, sans bois l’hiver, sans livres, sans meubles, sans domestique surtout, le marquis était ainsi réduit à faire son lit lui-même ; on lui apportait à manger par un guichet. Sa pauvre femme, qui l’avait déjà secouru si souvent, vint encore à son secours : elle lui fit passer des vêtemens, des livres, et enfin de quoi écrire, fatale complaisance à laquelle nous avons dû tant d’infernales productions.

Car jusqu’à ce jour le marquis de Sade s’était contenté de la pratique du vice, il n’avait pas encore abordé la théorie. Une fois qu’il eut dans sa prison de quoi écrire, il pensa à mettre en ordre ses pensées et ses souvenirs. La tête échauffée par les macérations du cachot, abruti par cette grande misère, persécuté par les folles et délirantes images d’une passion comprimée, ce malheureux résolut d’en finir, et de voir par lui-même jusqu’où sa scélératesse pouvait aller.