Page:Jules Janin - Le marquis de Sade.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 47 —

et de l’eau, parmi toutes ces tortures de la roue, du chevalet, du brasier ardent, il est un supplice qu’il a oublié, le plus cruel, le plus horrible de tous ; ce supplice, le voici :

Vivre soixante et quinze ans obsédé par des pensées impies ; passer sa jeunesse dans le crime, son age mûr dans les cachots, et sa vieillesse à l’hôpital des fous ; voir mourir toute sa famille, et ne pas oser suivre le convoi de sa femme de peur de la déshonorer ; ne rêver que des crimes impossibles ; être admiré dans tous les mauvais lieux du monde ; être le poète des bagnes et l’historien de la prostitution ; mourir comme on a vécu, tout seul, objet d’horreur et de dégoût ; laisser après soi des livres, la honte de la pensée humaine, et qui ont presque déshonoré l’imprimerie et la gravure ; voilà un supplice que M. de Sade a oublié.

P. S. Moi aussi, j’allais oublier un supplice ! Mourir après avoir déshonoré tant d’aïeux honorables. Mourir, et savoir qu’on laisse à son fils un nom perdu, et penser que ce fils est un honnête homme, et comprendre qu’on sera seul ainsi dans l’éternité, également séparé par deux abîmes, du passé et de l’avenir de sa maison !

Jules Janin.