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un fou comme un autre, la conclusion était bonne pour l’empereur, qui n’avait guerre le temps d’en chercher une autre ; mais elle ne vaut rien pour le philosophe qui veut se rendre compte de toutes choses. Un fou ! le marquis de Sade ! Mais ce serait ôter à la folie ce quelque chose de sacré que lui ont accordé tous les peuples, ce serait faire de la plus grande maladie de l’homme, un crime.

Le marquis de Sade n’a pas plus le crime d’un fou qu’il n’a le crâne d’Héloïse. C’est un homme bien organisé qui a perdu ses facultés à épouvanter ses semblables. C’est un homme digne de toute flétrissure et de tout mépris ; or, si c’était un fou il faudrait en avoir pitié.

J’ai tenu entre les mains plusieurs manuscrits inédits du marquis de Sade écrits dans l’oisiveté de sa détention. L’un de ces manuscrits, brûlé dans un grand feu, qui n’en a rien laissé, pas même la cendre, était tout-à-fait dans le goût de ses aînés. Ce qu’il y avait de remarquable, c’était un post scriptum de l’auteur : ce post scriptum résume fort bien tout cet homme qui ne pouvait pas laisser d’autre testament.

« P. S. J’allais oublier deux supplices ! »

Un de ces supplices consistait à placer une femme sur un fauteuil recouvrant un brasier ; par un certain mécanisme habilement décrit et expliqué par l’auteur, ce fauteuil s’ouvrait en deux parties, et la malheureuse femme tombait sur les charbons ardents.

J’allais oublier deux supplices ! Et le malheureux se relevait de son lit de mort pour compléter sa gloire, sans, doute affin qu’il put se rendre cette justice à lui-même, que parmi toutes les scélératesses, non pas possibles, mais imaginables, il n’en avait oublié aucune.

Et cependant il a eu beau faire, il a en beau tourmenter sa cruauté épuisée, parmi tous ces supplices du feu et du fer