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cice des vertus chrétiennes. La cadette, au contraire, qui, malgré son extrême jeunesse, avait déjà l’apparence physique de l’âge de puberté, n’était pas moins avancée du côté de l’intelligence : le principal caractère de sa figure consistait dans une expression de douceur angélique et de grâce suave que réfléchissaient ses yeux en harmonie avec sa peau blanche et sa blonde chevelure ; mais cette nature fraîche et délicate à l’extérieur devait bientôt se déclarer susceptible des passions les plus fougueuses et les plus fortes : la religion n’était pas un frein capable de l’arrêter.

Le mariage avait été fixé de longue main, lorsque le marquis de Sade fut introduit dans la maison de M. de Montreuil. Par un hasard qui décida de son avenir, il ne vit pas sa future la première fois qu’il alla chez le père de celle-ci : elle était indisposée et ne se montra point ; mais sa jeune sœur la remplaça dans cette soirée, qui laissa des souvenirs si agréables au galant capitaine, qu’il se persuada facilement avoir rencontré la femme qu’il devait épouser. Cette demoiselle chantait d’une manière ravissante, et pinçait de la harpe avec tant de feu, qu’elle prenait un air inspiré dès qu’elle touchait les cordes qui s’animaient et parlaient sous ses doigts. Le marquis de Sade, qui aimait beaucoup la musique, fut enivré de celle qu’il entendait, et ce cœur, que les évènemens ont convaincu de férocité, se sentit ému à la vue de cette charmante fille, aux accens de sa voix, aux sons de l’instrument qui lui empruntait une âme. Il se retira amoureux le soir même, il revint le lendemain plus amoureux, et se flatta d’avoir fait éprouver ce qu’il éprouvait.

Tant que dura l’indisposition de l’aînée des demoiselles de Montreuil, il fut très assidu auprès de la cadette, qui sans doute ne reçut pas avec indifférence les soins dont elle était l’unique objet. Quand on présenta au marquis la femme