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de sauver du moins sa tête, puisqu’il avait perdu l’honneur. C’était là le résultat que le marquis espérait de sa ruse.

— Eh bien ! s’écria-t-il avec exaltation, je consens à vivre, je consens à fuir, si vous ne m’abandonnez pas, si vous m’aimez ! autrement, adieu, laissez-moi mourir !

Une heure après, Mlle de Montreuil, toute pâle, toute tremblante, était assise à côté du marquis de Sade dans une chaise de poste, autour de laquelle les amis de celui-ci venaient le féliciter de sa conquête, et faire des vœux pour qu’il la conservât longtemps. La pauvre demoiselle restait muette au fond de la voiture, où sa honte et sa rougeur n’avaient pas d’autre voile qu’une nuit obscure à peine éclairée par quelques flambeaux : le marquis triomphait.

— Adieu, messieurs, dit-il gaiement aux témoins de cet enlèvement, faites comme moi pénitence : je vais fonder un ermitage en Italie et adorer le parfait amour.

Les deux amans partirent, et le 11 septembre de la même année le parlement d’Aix condamna le marquis à être rompu vif en effigie, malgré toutes les démarches des familles de Montreuil et de Sade pour empêcher cet arrêt. Le ravisseur semblait être corrigé de ses mauvaises mœurs et surtout de ce besoin de scandale qui l’avait tourmenté jusque-là ; il menait une vie rangée et très édifiante, à l’inceste près, lorsqu’une maladie violente emporta dans ses bras Mlle de Montreuil à l’âge de vingt-un ans. La douleur que lui causa cette mort prématurée fut suivie d’un retour vers ses anciennes habitudes : il redevint un fanfaron de crimes.

Paul L. Jacob, bibliophile.