Page:Jules Janin - Le marquis de Sade.djvu/74

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 61 —

remises, le paiement anticipé de ses fermages ; il avait enfin préparé une chaise de poste et des relais particuliers jusqu’à la frontière. Il entre précipitamment dans la chambre de sa belle-sœur, se jette à ses pieds, les lui baise en poussant des sanglots étouffés, se nomme lui-même un monstre indigne de pitié, s’accuse des plus grands forfaits, et déclare qu’il va s’en punir par un suicide. Mlle de Montreuil, surprise, émue, épouvantée, lui demande, en pleurant, l’explication de ce grand trouble qu’elle essaie de calmer avec des paroles affectueuses.

— Je vous aime au point de ne vouloir plus vivre sans vous, dit-il avec tous les signes de la plus vive douleur ; je sais que vous ne m’aimez pas ; je sais que vous me méprisez ! Cette pensée a fait mon crime : j’étais décidé à périr, mais par une vengeance que j’aurais souhaité exercer sur l’humanité entière, je formai le dessein d’immoler avec moi quelques misérables qui m’avaient perdu de réputation, en m’attribuant des infamies que je renvoie à leurs infâmes auteurs ; j’ai préparé de mes mains le poison ; plusieurs personnes ont succombé ; le hasard m’a sauvé, et maintenant je vais me faire justice, après vous avoir dit adieu, pour échapper au châtiment qui m’est réservé.

Mlle de Montreuil ne comprit pas bien cette histoire inventée par le marquis de Sade, et la lettre qu’il lui fit lire ne servit qu’à augmenter le trouble de son esprit : elle voyait seulement que son beau-frère était exposé à une condamnation capitale, et elle se persuadait aveuglément qu’elle-même avait amené ce malheur en repoussant un amour capable de tout s’il était réduit au désespoir ; elle s’accusa donc de cruauté et d’injustice, elle supplia tendrement M. de Sade d’éviter le jugement qui l’attendait, de se dérober par la fuite aux conséquences de cette affaire,