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LES ÉCUMEURS DE GUERRE

entendras leurs hurlements de triomphe, car c’est en hurlant qu’ils entrent, comme des fauves, dans les villes conquises… Et à ce moment-là, il sera trop tard…

— Abandonner mon moulin, ma vieille demeure, les souvenirs de ta mère, de ton enfance, mon travail, mes biens, mes habitudes, mon pays natal, est-ce possible ? Est-ce possible ?

— Nous reviendrons, père… Bientôt, ce sera la marche en avant, la victoire, la délivrance.

— Raison de plus pour ne pas fuir…

— Père, je te connais… Autant tu es doux avec ceux que tu aimes, autant tu es violent avec ceux que tu hais… Quand tu seras devant ces soldats, te contiendras-tu ?

— Je tâcherai…

— Et moi, j’ai peur… Il faut que tu me promettes…

— Je ne peux pas…

— Il faut partir…

— Je ne peux pas…

— Ce n’est pas ta vie seulement qu’il faut sauver, mais celle de Rolande… de Rolande livrée sans défense, sans force, paralysée, cadavre vivant, aux mains de ces sauvages, aux entreprises de ces brutes… Ce n’est pas seulement ta maison, tes souvenirs, tes biens à quoi il faut que tu songes… Ne dois-tu pas mettre à l’abri le précieux et terrible dépôt dont je t’ai confié la garde ?… Ne t’ai-je pas fait jurer qu’à tout prix, tu entends, père ? à tout prix, ce dépôt ne tomberait jamais au pouvoir des Allemands. Tu ne t’appartiens plus… Les heures sont graves, décisives, pleines d’une grande angoisse… Je t’en supplie, père, j’ai peur pour toi…

Jean-Louis, la tête basse, resta longtemps sans répondre.

Puis, tout à coup, la voix s’étouffa :

— Vois-tu, garçon, j’ai un pressentiment… et les