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LES ÉCUMEURS DE GUERRE

fille avait les yeux grands ouverts et que ces yeux se fixèrent sur l’homme, lentement, obstinément.

Ils se reculèrent.

Nicky Lariss fut secoué d’un tremblement et il devint pâle.

Il n’y eut pas d’autre hasard, ni d’autre tentative.

Par-ci, par-là, ils se contentaient de demander au meunier :

— Comment va-t-elle, la pauvre chère petite âme ?

Et Jean-Louis grognait une réponse.

Ces gens lui déplaisaient, décidément. Son cerveau était traversé de soupçons imprécis, de vagues souvenirs… Il s’imaginait qu’il les avait déjà rencontrés autrefois, qu’il avait déjà vu ces lourdes paupières sur ces yeux obséquieux et faux, ces allures louches, et il s’étonnait qu’ils surgissent partout sur son chemin… Souvenirs et soupçons restaient flottants dans la brume… et il y pensait sans cesse…

Les fugitifs avaient mis deux jours pour arriver dans la campagne de Reims. Ils couchèrent une nuit en pleins champs, sur la lisière d’un bois de sapins, de l’autre côté de Bazancourt… Les villages étaient vides, on ne trouvait rien à manger… On déterrait des pommes de terre et on les faisait cuire sous la cendre… Les gens qui avaient emporté quelques conserves les partageaient avec ceux qui n’avaient rien…

Heureusement, les vaches de Barbarat donnaient du lait. On put nourrir Rolande, dont l’état nécessitait les soins qu’on donne aux jeunes enfants… Il tombait une pluie fine, mais la bâche était neuve et ne laissa point passer l’eau… Barbarat et Jean-Louis couchèrent sur le sol, entre les roues du barou, enveloppés dans des limousines. Le meunier, fiévreux, énervé, ne dormit pas… Une effrayante canonnade, qu’on entendait maintenant vers Rethel, le tint éveillé toute la nuit. À l’horizon du nord-est, de grandes lueurs rougissaient le ciel. La ville et des villages brûlaient.