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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/177

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qu’il avait reçu de l’Assemblée, à titre de mandat, une portion, un reste de ce pouvoir exécutif dont il se croyait l’héritier ; ce n’est pas parce que le peuple de Paris l’avait pris à Versailles, et transféré à Paris ; parce qu’il l’y avait claquemuré et surveillé dans son palais, parce qu’il lui avait mis le bonnet rouge sur la tête ; ce n’est pas parce que l’Assemblée avait prononcé la déchéance, et emprisonné le petit-fils de saint Louis, d’Henri IV et de Louis XIV, dans le cachot du temple : non ; c’est parce que l’Assemblée existait ; parce que le charme de la tradition était rompu ; parce qu’il s’agissait désormais, non du droit dérivant des coutumes, du fait, de la possession ou de la volonté royale, mais du droit éternel, écrit dans les âmes par la main de Dieu. La révolution était si complètement faite avant la mort du roi, avant le 10 août, avant le 4 août, qu’à partir de la réunion des ordres, on ne parle plus dans l’Assemblée que le langage de la raison. Le côté droit n’invoqua plus la tradition, si ce n’est comme argument oratoire, et propre à faire naître la pitié. Tout le monde parla de bon ordre, de bonne organisation, de liberté, d’intérêt commun. Pour comprendre où on en était, il n’y a qu’à lire les discours de Mirabeau le jeune, de d’Esprémesnil, de Cazalès, de Maury, ces discours qui indignaient le gros de la nation, et qui paraissaient si étrangement réactionnaires : qu’on se figure les mêmes discours prononcés deux ans auparavant dans le parlement, devant les prélats, les pairs, le grand banc et les charges de la couronne. Le spectacle de la Révolution est plus grand dans cette première année qu’il ne le fut jamais durant la tourmente. Le 23 juin 1789 est la journée de l’histoire.

Quand 1789 eut remplacé le gouvernement imposé par le gouvernement choisi, ou plutôt (car c’est le droit abstrait qui fut conquis, et l’application resta à débattre), quand 1789 eut remplacé la nécessité de subir par le droit de choisir, la nation, qui si longtemps avait appartenu au droit divin, au privilège, à l’autorité, à l’immobilité, ap-