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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/178

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partint sans réserve au droit naturel, à la liberté, au progrès, c’est-à-dire, en un mot, à la science. La Révolution était pour la pensée plus qu’une émancipation : c’était un avènement. Le vaisseau quitta son ancrage séculaire pour voguer librement dans la mer immense.

Il s’en fallait bien que le christianisme fût incompatible avec les idées nouvelles d’émancipation et d’égalité[1]. Il suffit d’ouvrir l’Évangile pour y trouver la charte de la fraternité universelle, et l’histoire de la plus grande et de la plus belle des révolutions sociales. Les réformateurs nouveaux pouvaient vaincre la société féodale avec les mêmes doctrines et les mêmes préceptes qui avaient vaincu le monde romain. Cette grande et sublime religion, qu’on ne peut se lasser d’admirer quand on est capable de la comprendre, suffisait à tous les progrès, à toutes les légitimes aspirations de l’humanité, pourvu qu’on ne vît en elle que ce qu’elle est, c’est-à-dire une école, et non ce que le clergé en a fait, c’est-à-dire un ressort de gouvernement. À la distance où nous sommes de la Révolution, il nous semble très-naturel qu’on pût être à la fois, en 1789, chrétien et libéral. Un seul point rendait cette alliance difficile : le christianisme était imposé, il était une religion d’État ; double malheur, d’abord pour la religion, qui pouvait être la vérité[2], et qui descendait à être la force ; ensuite, pour la liberté, qui n’est pas possible dans les actes quand elle n’existe pas dans la pensée. Là

  1. En décembre 1798, pendant l’occupation française en Italie, le cardinal Chiaramonte, évêque d’Imola, qui fut, l’année suivante, le pape Pie VII, écrivit, dans un mandement, ces paroles remarquables : « La forme du gouvernement démocratique adopté parmi vous, ô très-chers frères, ne répugne pas à l’Évangile ; elle exige, au contraire, toutes les vertus sublimes qui ne s’apprennent qu’à l’école de Jésus-Christ, et qui, si elles sont religieusement pratiquées par vous, formeront votre félicité, la gloire et l’esprit de votre République. »
  2. Si la force des lois vient de ce qu’on les craint, la force d’une religion vient uniquement de ce qu’on la croit. » (Porlalis, Discours sur l’organisation des cultes, 15 germinal an X.)