Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/396

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pensable fondement. Libre dans le secret de ma pensée, serai-je réduit à un culte muet ? Ne pourrai-je exprimer ce que je pense ? La foi est expansive et veut être manifestée au dehors. Je ne puis lui refuser son expression, sans la violenter, sans offenser Dieu, sans me rendre coupable d’ingratitude. Je ne puis surtout adorer un Dieu qui n’est pas le mien. Ainsi la liberté de croire n’est qu’un leurre sans la liberté de prier. Suffit-il de prier ? Cette expression solitaire de ma foi, de mon amour, de mon espérance, suffit-elle aux besoins de mon cœur et à mes devoirs envers Dieu ? Oui, si l’homme est fait pour être seul ; non, s’il a des frères. Je suis né pour la société ; j’ai des devoirs envers elle comme envers Dieu ; ma croyance me commande également de prier et d’enseigner. Il faut que ma voix puisse se faire entendre, et qu’en marchant vers ma destinée, j’y entraîne avec moi, dans la mesure de mes forces, tous ceux qui voudront me suivre. Croire, prier, enseigner, voilà tout le culte[1]. Mais quoi ? puis-je me croire libre dans ma foi, si l’on me permet de prier, et de prier publiquement, et d’enseigner ma doctrine, à la condition de perdre, en la confessant, mes droits d’homme et de citoyen ? n’y a-t-il d’autres moyens d’entraver le culte et l’apostolat que les bûchers ? suis-je libre à la seule condition de n’être ni tué, ni enfermé ? quand on me fait acheter le droit de prier au prix du sacrifice de tous mes autres droits, suis-je libre encore ? suis-je traité en homme ? Il faut évidemment, pour qu’il n’y ait pas d’attentat, que ma croyance ne me coûte rien ; qu’elle ne m’ôte ni un droit civil, ni un droit politique. Tout cela est compris dans ce mot de liberté de conscience : il enferme tout à la fois le droit de penser, le droit de prier, le droit d’enseigner et le droit d’user de cette triple liberté sans souffrir aucune diminution dans sa dignité d’homme

  1. « La liberté de former et de suivre sa conviction s’appelle dans son principe liberté de conscience, et dans ses effets liberté de culte. » Vinet, Essai de philosophie morale et de morale religieuse, p. 161.