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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/397

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et de citoyen. Voilà les conditions de la liberté, et les degrés de la tyrannie. En Angleterre, le juif est affranchi dans sa croyance, dans son culte, dans ses écrits, dans sa vie civile ; mais tant qu’il ne pouvait entrer au Parlement, sans commettre un parjure, il n’avait pas la liberté de conscience. En Bohême, le juif ne peut entrer à la synagogue sans perdre à la fois tout droit politique et toute indépendance personnelle. En Russie, en Espagne, il ne peut pas même prier ; il ne lui reste que le sanctuaire où la force ne pénètre pas, le sanctuaire impénétrable de la liberté d’un cœur.

Commençons par là et voyons si l’on osera nous poursuivre jusque dans ce dernier asile de la liberté. Je le reconnais : pour moi, homme mûr, homme éclairé, l’indépendance du dedans m’appartient, quelles que soient les violences des ennemis de ma foi. Ils ne peuvent triompher de ma raison, parce que j’ai fortifié mon esprit par la méditation, et ma volonté par l’exercice du devoir. Je puis dire avec les stoïciens : Vous m’arracherez toutes choses, vous ne m’arracherez pas à moi-même. L’ennemi peut me rendre un membre inutile de la société ; il peut faire de moi un paria. Il peut porter la douleur et la désolation dans mon foyer. Il dispose de mon corps. Il dépend de lui de me jeter dans un cachot, de me faire torturer, de me faire assassiner. Mais je le brave au dedans de moi. Pendant qu’il me torture et qu’il me martyrise, moi, je le juge. Il commande à ses bourreaux, et moi à ma douleur. Je garde entière ma foi, parce que je le veux. Je mourrai ; mais je mourrai entier. Voilà l’homme libre.

C’est en pensant à cette inexpugnable vertu de la conscience qu’un des plus illustres adversaires de la raison[1] a pu dire que demander la liberté de penser est aussi absurde que de demander la liberté de la circulation du

  1. M. de Bonald.