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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/398

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sang. Mais quoi ? le fanatisme a-t-il toujours des stoïciens à combattre ? Quand il arrive escorté de toutes les séductions et de toutes les menaces, et quand il dresse toutes ses batteries pour triompher de mon cœur, a-t-il le droit de me déclarer invincible et de se railler de mes alarmes, lui qui traite ma raison d’imbécile et qui lui reproche à outrance ses limites ? Il est trop facile, en vérité, de combattre un principe tantôt en le niant, et tantôt en soutenant qu’il n’a pas même besoin d’être défendu. Hélas ! il ne faut pas dire que cette liberté intime et solitaire est par cela même inattaquable, puisqu’elle peut s’abandonner et se trahir. On nuit à ma liberté, quand on me présente sans cesse, d’un côté le désespoir et de l’autre tous les plaisirs. On nuit encore à ma liberté, quand on emploie le mensonge ou le sophisme pour troubler ma raison et pour la tourner contre moi-même. Ôter la parole aux défenseurs d’une doctrine, et la laisser à ses ennemis, n’est-ce pas attenter deux fois à la liberté du dedans ? Que dirons-nous de l’immense troupeau des ignorants et des faibles, proie facile pour quiconque dispose de la force ? Et l’enfance, grand Dieu ! n’appartient-elle pas à ses précepteurs ? N’avons-nous pas vu les prescripteurs de tous les temps et de tous les pays accaparer l’homme à cet âge où il est désarmé, où son jugement est sans force, sa mémoire vide, son imagination vive et crédule ; où il reçoit avec avidité et sans défiance toutes les impressions qu’on lui donne ? Quelle est la ressource de ceux qui veulent abattre la raison, la détrôner, la dépraver ? c’est de s’emparer d’abord de l’imagination et de la volonté ; de créer au dedans des habitudes qui ôtent le temps de penser, ou qui rendent la pensée impuissante par défaut d’exercice, ou qui la chargent de trop de règles et de trop d’entraves et de trop de scrupules pour qu’elle se possède elle-même, et qu’elle saisisse son objet avec clarté et autorité. On peut donc attenter à la liberté du dedans, au moins par ces voies détournées, et ce n’est pas seulement le