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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/402

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seigner et de propager mes croyances. Je ne repousse que la force, et par la force j’entends tous les moyens directs ou indirects qui ôtent à l’homme la disposition de lui-même. Je repousse la loi qui m’oblige à cacher ma croyance, à me conformer extérieurement à une croyance qui n’est pas la mienne, ou celle qui, moins violente en apparence, mais plus perfide, remplit mes yeux et mes oreilles de la prédication, de la pratique et des cérémonies d’une autre religion en condamnant la mienne à l’obscurité et au mystère ; ou celle enfin qui, divisant un peuple, distribue aux citoyens ses faveurs ou même la justice, non d’après leurs mérites, mais d’après leur foi, établissant ainsi en eux-mêmes une lutte sacrilège entre leur conscience et leurs intérêts.

Qui osera exercer sur moi de telles violences ? Est-ce un individu ? Mais de quel droit ? Du droit de la vérité qu’il possède ? Sa vérité ! N’est-il pas un homme, un homme comme moi ? Sa raison lui démontre la vérité de ce principe, et la mienne m’en démontre la fausseté. Les vérités mathématiques sont évidentes avec le temps, parce qu’elles sont conçues d’une façon identique par tous les esprits : en est-il de même des vérités religieuses ? Ont-elles tant d’évidence qu’il suffise de les présenter à l’esprit pour qu’il se soumette ? Non, j’en atteste les disputes théologiques qui remplissent l’histoire de toutes les églises ; j’en atteste l’inquisition, j’en atteste votre doctrine elle-même, car l’évidence vous dispenserait de la force. Entre ma raison et la vôtre, pourquoi faut-il que ce soit la mienne qui abdique et la vôtre qui triomphe ? C’est la force seule qui décide : voilà donc le fondement de la vérité l Concluons qu’aucun homme n’est maître de la pensée d’un autre homme. Criminel est celui qui opprime, criminel celui qui se laisse opprimer, et qui de libre et responsable qu’il était, devient par sa faute une créature passive, renonçant ainsi à sa dignité et à sa tâche.

Ce que ne peut contre moi un homme, est-ce la majorité