Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/403

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qui le pourra ? Les majorités ne font pas la loi en matière de conscience. N’y a-t-il jamais eu chez aucun peuple un homme qui voyait mieux et plus loin que tout le peuple ? N’y a-t-il pas eu quelque part un cirque croulant sous des milliers de spectateurs féroces, et au milieu de ce cirque, un martyr de la conscience et de la vertu, mourant maudit par les hommes, et ne laissant pas même derrière lui une mémoire ? La majorité n’est ni le droit, ni le signe, ni l’apparence du droit : elle n’est que la force. C’est à la force que vous revenez en invoquant les foules ; comme si la raison souveraine ne nous était pas donnée pour vaincre et utiliser la force ! Quand tout mon peuple se lèverait pour me crier qu’il faut courber le front devant la tyrannie, qu’il faut mentir, et se parjurer et se vendre, que je serai encore un hon citoyen quand j’aurai cessé d’être un honnête homme, est-ce que cette dégradation d’un peuple entier prévaudrait contre ma conscience ?

Les foules rejetées, à qui en appellerez-vous ? à l’État ? Mais qu’est-ce que l’Etat ? Son institution, si elle n’a pas pour fondement la liberté, repose ou sur un dogme ou sur la force. S’il n’est que la force, c’est-à-dire, s’il n’est qu’un contrat social, une coalition des intéressés, qu’apporte-t-il avec lui qui puisse ébranler une conviction ? Cet État athée n’est maître que de mon corps. Si l’État est fondé sur un dogme, comment cette alliance d’une vérité religieuse avec la force civile peut-elle changer quelque chose au caractère de la vérité religieuse ? Quoi ! en est-elle devenue plus vraie parce qu’elle a une armée ? Étrange principe, en vertu duquel la religion russe serait plus vraie que la religion romaine, car le czar a plus de troupes que le pape. Quelle que soit l’origine et la nature de la force, ni individu, ni majorité, ni État ne peut l’employer sans crime à triompher du droit de la raison ; et nul homme ne peut sans crime, ayant été créé raisonnable, s’oublier et se prosterner devant la force. Tant que la vérité religieuse sera discutable,

c’est-à-dire tant