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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/409

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humaine ; qu’on ne peut nous l’arracher sans nous ôter tous droits et toute liberté, et même toute idée de droit. C’est une impiété que de nier en principe la liberté de penser, ou de la disputer à l’homme dans la pratique, en employant contre elle la ruse, le mensonge ou la terreur. Eh bien ! l’ennemi me laissera cette liberté qu’il ne peut me ravir sans crime, ce droit qui est le commencement et le fondement du droit. Pensez, spéculez librement ; cherchez la vérité par vos propres lumières ; ou, si vous vous défiez de vous-même, cherchez vos aides où vous voudrez, selon l’inspiration de votre conscience. Faites-vous une doctrine, une religion. Mais qu’elle ne sorte pas de vous-même : au moindre mot, au premier souffle, je fais peser sur vous ma force. Vous avez la liberté de croire ; mais je vous interdis le droit de manifester votre croyance. Vous croyez à l’Évangile, et à la mission divine de l’Église catholique ? Cependant ne faites pas sur votre front le signe de la croix, ne prononcez pas l’oraison dominicale ; car ces manifestations de votre croyance blessent la mienne. Si vous écrivez un livre de prière, je le brûlerai ; si vous élevez une église, je la raserai ; si vous appelez un prêtre, je le tuerai. Vous devez penser comme moi ou feindre de penser comme moi, parce que je suis le roi, ou parce que je suis la force. Voilà un crucifix, marchez dessus ! Voilà une aigle : sacrifiez aux dieux de l’empire ! Ce langage vous fait frémir ; est-ce parce que je parle de mort ? L’odieux de la persécution n’est pas dans le degré, il est dans la persécution elle-même. Je dirai, si on le veut, que le proconsul qui envoyait les chrétiens aux bêtes était plus criminel que le roi qui envoyait les protestants aux galères. Mais, ô mon Dieu, quel est donc ce sacrilège de mettre la volonté, ou les intérêts, ou les passions d’un autre homme, entre toi et ma conscience ? Quand, emporté par le torrent de la vie, par ses malheurs, par ses passions, je prends un moment pour me recueillir, pour rappeler ma destinée