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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/408

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perdue ; le néant l’emporte, et il emporte en même temps comme une partie de moi-même ; au contraire, l’acte vertueux est solide, il subsiste, il est durable ; il entre dans le système général de l’être, il y concourt ; il a sa place dans les desseins de Dieu ; il ne peut plus se perdre, je ne puis plus le perdre. Il me profite encore et me grandit, même quand j’en ai perdu le souvenir. Il en est de même de la pensée et même du sentiment. Rien n’est vivant que ce qui est dans la règle. Qu’est-ce que la pensée vague, sans direction, reflétant comme dans un prisme tous les phénomènes du monde, accueillant la vérité et l’erreur sans discernement, et se laissant couler au hasard, comme une source qui s’épanche ? Cette pensée est un rêve. Il faut que la volonté discipline les idées sous la loi du vrai ; il faut qu’elle les enchaîne dans un ordre juste, qu’elle discerne entre l’idée éphémère et l’idée solide, qu’elle s’attache à ce qui est éternel et rejette ce qui ne vaut rien : c’est à cette condition que l’esprit a conscience et possession de sa force, et qu’au lieu de dépendre de tout ce qui l’entoure, il arrive, en se dominant, à dominer tout le reste. La loi, ou, si l’on veut, le droit, est donc nécessaire à la personne humaine, à la liberté humaine, pour la constituer : et la liberté, à son tour, soit dans l’ordre de la pensée ou dans l’ordre de l’action, ne va pas sans le droit. Le droit et la liberté apparaissent ensemble dans la conscience humaine ; et tant s’en faut qu’on puisse me contester, au dedans de moi, la possession du droit et la possession de la liberté, que, si je ne les retrouvais pas dans ce dernier sanctuaire, il ne me resterait qu’à envier le sort des brutes, et à me plaindre du Dieu qui m’a fait sensible et intelligent.

Concluons que la liberté de conscience prise en elle-même, dans son fond, dans son essence, la liberté de penser, si vous aimez mieux ce nom, est une nécessité de notre condition, un droit inhérent à notre nature