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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/417

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gré de marcher désormais le front découvert, et de ne dissimuler ni leurs rancunes ni leurs visées[1].

Il me semble qu’on pourrait séparer les ennemis de la liberté de penser en deux classes bien distinctes. Les uns sont des fanatiques, qui veulent nous rendre heureux malgré nous, nous sauver, nous sanctifier malgré nous ; et les autres, des politiques, qui ne voient de salut pour l’État que dans l’unité. Ils se trompent les uns et les autres, puisqu’ils blessent la justice ; mais au malheur d’être injustes, ils joignent celui de ne pas réussir. Les premiers croient augmenter leur troupeau, parce qu’ils y introduisent des hypocrites ; les seconds, en aspirant à la paix, ne font que semer des tempêtes.

Qu’ils interrogent l’histoire. Est-ce que cette unité qu’ils poursuivent a jamais existé ? C’était, au moyen âge, la théorie dominante ; et le moyen âge est le temps des guerres religieuses. Louis XIV aussi voulut imposer sa religion à son peuple : il en coûta des flots de sang. La France fut dévastée, l’hérésie ne fut pas vaincue. En Espagne, il est vrai, le catholicisme règne seul : à quel prix, grand Dieu ! mais si, à force de supplices, on parvint à y comprimer la pensée, le nombre des victimes nous apprend ce qu’il en coûte au pouvoir civil pour entrer en lutte avec les consciences. Quel est l’homme de sang-froid qui ne reconnaît en lisant l’histoire que la guerre ne s’est jamais allumée entre religions libres, mais toujours entre une religion dominante et une religion opprimée ? Si l’histoire ne parle pas assez haut, interrogeons la nature humaine. La philosophie, qui enfante les hérésies, n’est pas un accident. Elle répond à un besoin impérieux et éternel de notre nature. On a beau vouloir nous garrotter. Cet esprit enchaîné à un symbole, à des observances, se

  1. Voltaire n’avait pas prévu tant de franchise. Il disait, dans son article sur la Tolérance, section IV : « Il y aura toujours des barbares et des fourbes qui fomenteront l’intolérance ; mais ils ne l’avoueront pas ; et c’est avoir beaucoup gagné. »