Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/136

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qu’un peu moins noble, d’entrer dans un lieu retiré, le premier que je trouverais.

Il me restait vingt-sept sous, en sous, — jamais je n’avais eu une si grosse somme à ma disposition. Elle gonflait et crevait mes poches. — Patatras ! les sous roulent à terre, — même ailleurs !

C’est horrible.

Je n’ai retrouvé qu’un franc deux sous. Je perds la tête…

Je m’approche d’un des jeux qui sont installés place Marengo.

« Trois balles pour un sou ! On gagne un lapin. »

Je prends la carabine, j’épaule et je tire… Je tire les yeux fermés, comme un banquier se brûle la cervelle.

« Il a gagné le lapin ! »

C’est un bruit qui monte, la foule me regarde, on me prend pour un Suisse ; quelqu’un dit que dans ce pays-là, les enfants apprennent à tirer à trois ans et qu’à dix ans il y en a qui cassent des noisettes à vingt pas.

« Il faut lui donner le lapin ! »

Le marchand n’avait pas l’air de se presser en effet, mais la foule approche, avance et va faire une gibelotte avec l’homme s’il ne me donne pas le lapin qui est là et qui broute.

Je l’ai, je l’ai ! Je le tiens par les oreilles et je l’emporte.

Il faut voir le monde qu’il y a ! Le lapin fait des sauts terribles. Il va m’échapper tout à l’heure.

Comme dans toutes les luttes, chaque côté a ses