Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/168

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— Ce n’est pas vrai ! »

Je n’ai pas fini le mot qu’il me soufflète.

Mon père et mère me battent, mais eux seuls dans le monde ont le droit de me frapper. Celui-là me bat parce qu’il déteste les pauvres.

Il me bat pour indiquer qu’il est l’ami du sous-préfet, qu’il a été reçu second à l’agrégation.

Oh ! si mes parents étaient comme d’autres, comme ceux de Destrême qui sont venus se plaindre parce qu’un des maîtres avait donné une petite claque à leur fils !

Mais mon père, au lieu de se fâcher contre Turfin, s’est tourné contre moi, parce que Turfin est son collègue, parce que Turfin est influent dans le lycée, parce qu’il pense avec raison que quelques coups de plus ou de moins ne feront pas grand-chose sur ma caboche. Non, mais ils font marque dans mon cœur.

J’ai eu un mouvement de colère sourd contre mon père.

Je n’y puis plus tenir ; il faut que je m’échappe de la maison et du collège.


Où irai-je ? — À Toulon.

Je m’embarquerai comme mousse sur un navire et je ferai le tour du monde.

Si l’on me donne des coups de pied ou des coups de corde, ce sera un étranger qui me les donnera. Si l’on me bat trop fort, je m’enfuirai à la nage dans quelque île déserte, où l’on n’aura pas de leçon à apprendre ni du grec à traduire.