Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/255

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« Heureusement, nous avons eu cette occasion de la renvoyer sans que le proviseur se fâche. Si elle n’avait pas eu ce roulier pour amant ! »

Je ne comprends pas.

Il est décidé qu’on ne prendra plus de bonnes qu’on nourrira : ça fatigue trop ma mère !

Je vois arriver un matin une grosse fille, rouge, mais rouge ! avec des taches de rousseur, courte et ronde, — une boule. Des yeux qui sortent de la tête, et de l’estomac qui crève sa robe ! Il nous vient beaucoup d’estomac à la maison.

Elle doit venir faire la vaisselle, l’ouvrage sale, et accompagner ma mère au marché pour porter les provisions. Ma mère veut même qu’elle sorte avec moi, pour montrer que nous avons toujours une bonne, qu’il y a une domestique attachée à ma personne. J’obéis, en allant en peu en avant ou en arrière de Pétronille, c’est son nom. Elle a malheureusement la manie de parler, et elle s’accroche à moi ; on nous voit ensemble.

On nous voit, et il arrive qu’un matin, en entrant au collège, on m’appelle suçon. Sur les murs des classes, je vois le portrait de mon père avec suçon au bas et l’on ne nous nomme plus que les Suçons.

Voici pourquoi :

Pétronille occupe ses heures de loisir à vendre des sucres d’orge dans les rues, et les élèves la connaissent bien. On s’est demandé, en me rencontrant avec elle, quel lien mystérieux nous reliait, et le bruit se répand que nous fabriquons les sucres d’orge la nuit,