Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/257

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J’ai marché ce matin pieds nus, sur un chose de bouteille. (Ma mère dit que je grandis et que je dois me préparer à aller dans le monde. Elle me demande pour cela de châtier mon langage, et elle veut que je dise désormais : chose de bouteille, et quand j’écris je dois remplacer chose par un trait.)

J’ai marché sur un chose de bouteille et je me suis entré du verre dans la plante des pieds. Ah ! quel mal cela m’a fait ! le médecin a eu peur en voyant la plaie.

« Vous devez souffrir beaucoup, mon enfant ? »

Oui, je souffre, mais à ce moment le vent a entr’ouvert ma fenêtre ; j’ai aperçu dans le fond le coin du faubourg, le bout de banlieue, le bord de campagne triste où l’on m’emmène tous les soirs. Je n’irai plus de quelque temps. J’ai le pied coupé. Quelle chance !

Et je regarde avec bonheur ma blessure qui est laide et profonde.


MON ENTRÉE DANS LE MONDE


Ma mère ne se contente pas de me recommander la chasteté pour les mots, elle veut que je joigne l’élégance à la pudeur.

Elle a eu l’idée de me faire donner des leçons de « comme il faut. »

Il y a M. Soubasson qui est maître de danse, de chausson et professeur de « maintien. »

C’est un ancien soldat, qui boit beaucoup, qui bat