Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/348

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donc que je mange quelque chose qui me ferait du mal ? Va prier qu’on la change, va, mon ami. »

Je ne sais où me fourrer ; on ne voit que moi, on n’entend que nous ; je trouve un biais, et d’un air espiègle et boudeur, (je crois même que je mords mon petit doigt) :

« Moi qui aime tant le gras !

— Tu l’aimes donc, maintenant ? Qu’est-ce que je te disais, quand j’étais forcée de te fouetter pour que tu en manges ? que tu en serais fou un jour. Tiens, mon enfant, régale-toi. »


Je déteste toujours le gras, mais je ne vois que ce moyen pour ne pas reporter la côtelette, puis je pourrai peut-être escamoter ce gras-là. En effet, j’arrive à en fourrer un morceau dans mon gousset, et un autre dans ma poche de derrière.


Mais un soir ma mère me prend à part ; elle a à me parler sérieusement :

« Ce n’est pas tout ça, mon garçon, il faut savoir ce que nous allons faire maintenant. Voilà une semaine que nous courons les théâtres, que nous nous gobergeons dans les restaurants, et nous n’avons rien décidé pour ton avenir. »

Chaque fois que ma mère va être solennelle, il me passe des sueurs dans le dos. Elle a été bonne femme pendant sept jours ; le huitième, elle me fait remarquer qu’elle se saigne aux quatre veines, que j’en prends bien à mon aise. « On voit bien que ce n’est pas toi