Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/354

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quartier latin, où il demeure avec un homme qui a dix ans de plus que lui, qui est jacobin et qui écrit dans un journal républicain. Il fait une histoire de la Convention.

Matoussaint écrit sous sa dictée.

Ils étaient en train de causer gravement. On m’a fait bon accueil, mais on a continué la conversation.

Leurs phrases font un bruit d’éperons :

« Un journaliste doit être doublé d’un soldat, » — « Il faut une épée près de la plume, » — « Être prêt à verser dans son écritoire des gouttes de sang. » — « Il y a des heures dans la vie des peuples. »

Matoussaint et son ami le journaliste, comme nous l’appelons, m’ont prêté des volumes que j’ai emportés jeudi. Le dimanche suivant, je n’étais plus le même.


J’étais entré dans l’histoire de la Révolution.

On venait d’ouvrir devant moi un livre où il était question de la misère et de la faim, où je voyais passer des figures qui me rappelaient mon oncle Joseph ou l’oncle Chadenas, des menuisiers avec leurs compas écartés comme une arme, et des paysans, dont les fourches avaient du sang au bout des dents.

Il y avait des femmes qui marchaient sur Versailles, en criant que Madame Veto affamait le peuple ; et la pique à laquelle était embrochée la miche de pain noir — un drapeau — trouait les pages et me crevait les yeux.

C’était de voir qu’ils étaient des pauvres gens comme mes grands-parents, et qu’ils avaient les mains coutu- -