Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/393

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C’est mon père qui parle avec émotion :

« Oui, quand il sera guéri, il partira.

— Pour Paris ?

— Pour Paris. — Il n’est pas blessé grièvement, n’est-ce pas ? Ce n’est rien, au moins ?

— Je t’ai dit que non. »

Un silence.

« C’est pour moi qu’il s’est battu… Après la scène de la veille !… »

Il semble que sa voix tremble.

« Oui, oui… il vaut mieux que nous nous séparions. De loin, nous ne nous querellerons pas. De près, il me haïrait !… Il me hait peut-être déjà ! Mais c’est plus fort que moi ! Ce professorat a fait de moi une vieille bête qui a besoin d’avoir l’air méchant, et qui le devient, à force de faire le croquemitaine et les yeux creux… Ça vous tanne le cœur… On est cruel… J’ai été cruel.

— Comme moi, dit ma mère… Mais je le lui ai dit un jour à Paris, je lui ai presque demandé pardon, et si tu avais vu comme il a pleuré !

— Toi, tu as su lui dire, moi je ne saurais pas. J’aurais peur de blesser la discipline. Je craindrais que les élèves, je veux dire que mon fils ne rie de moi. J’ai été pion et il m’en reste dans le sang. Je lui parlerai toujours comme à un écolier, et je le confondrai avec les gamins qu’il faut que je punisse pour qu’ils me craignent et qu’ils n’attachent pas des rats au collet de mon habit… Il vaut mieux qu’il parte.

— Tu l’embrasseras avant de partir.

— Non. Tu l’embrasseras pour moi. Je suis sûr que