Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/51

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— Oui, m’man. »

Mais un oui lent, un oui avec une moue.

Tiens ! si je disais que je m’amuse, elle serait capable de m’empêcher d’y aller.

Si une chose me chagrine bien, me répugne, peut me faire pleurer, ma mère me l’impose sur-le-champ.

« Il ne faut pas que les enfants aient de volonté ; ils doivent s’habituer à tout. — Ah ! les enfants gâtés ! Les parents sont bien coupables qui les laissent faire tous leurs caprices… »

Je dis : « Oui, m’man, » de façon à ce qu’elle croie que c’est non, et je me laisse habiller et sermonner en rechignant.


Je descends dans la ville.

Je ne m’arrête pas au Martouret, parce que ma mère peut me voir des fenêtres de notre appartement, perché là-haut au dernier étage d’une maison, qui est la plus haute de la ville.

Je fais le sage et le pressé en passant sur le marché ; mais, dans la rue Porte-Aiguière, je m’abrite derrière le premier gros homme qui passe, et j’entre dans la cour de l’auberge du Cheval-Blanc.

De cette cour, je vois la rue en biais, et je puis dévorer des yeux la devanture du bourrelier, où il y a des tas de houppes et de grelots, des pompons bleus, de grands fouets couleur de cigare et des harnais qui brillent comme de l’or.

Je reste caché le temps qu’il faut pour voir si ma mère est à la fenêtre et me surveille encore ; puis,