Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/60

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leurs sabots qui ont l’air de souches, où se sont enfoncés leurs pieds.

Je les aime tant avec leur grand chapeau à larges ailes et leur long tablier de cuir ! Ils ont de la terre aux mains, dans la barbe, et jusque dans le poil de leur poitrail ; ils ont la peau comme de l’écorce, et des veines comme des racines d’arbres.

Quelquefois, quand leur tablier de cuir est à bas, le vent entr’ouvre leur chemise toute grande, et en dessous du triangle de hâle qui fait pointe au creux de l’estomac, on voit de la chair blanche, tendre comme un dos de brebis tondue ou de cochon jeune.

Je les approche et je les touche comme on tâte une bête ; ils me regardent comme un animal de luxe, moi de la ville ! quelques-uns me comparent à un écureuil, mais presque tous à un singe.

Je n’en suis pas plus fier, et je les accompagne dans les champs, en leur empruntant l’aiguillon pour piquer les bœufs.

J’entre jusqu’au genou dans les sillons, à la saison du labourage, je me roule dans l’herbe au moment où l’on fait les foins, je piaule comme les cailles qui s’envolent, je fais des culbutes comme les petits qui tombent des nids quand la charrue passe.

Oh ! quels bons moments j’ai eus dans une prairie, sur le bord d’un ruisseau bordé de fleurs jaunes dont la queue tremblait dans l’eau, avec des cailloux blancs dans le fond, et qui emportait les bouquets de feuilles et les branches de sureau doré que je jetais dans le courant !…