Page:Jules Vallès - L'Enfant.djvu/70

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fièvre, ah ! comme c’est bon, une fois l’an ! — Quel malheur que ma mère ne soit pas sourde !

Ce qui me fait mal, c’est que tous les autres sont si contents ! Par le coin de la fenêtre, je vois dans la maison voisine, chez les gens d’en face, des tambours crevés, des chevaux qui n’ont qu’une jambe, des polichinelles cassés ! Puis ils sucent, tous, leurs doigts ; on les a laissés casser leurs jouets et ils ont dévoré leurs bonbons.

Et quel boucan ils font !


Je me suis mis à pleurer.

C’est qu’il m’est égal de regarder des jouets, si je n’ai pas le droit de les prendre et d’en faire ce que je veux ; de les découdre et de les casser, de souffler dedans et de marcher dessus, si ça m’amuse…

Je ne les aime que s’ils sont à moi, et je ne les aime pas s’ils sont à ma mère. C’est parce qu’ils font du bruit et qu’ils agacent les oreilles qu’ils me plaisent ; si on les pose sur la table comme des têtes de mort, je n’en veux pas. Les bonbons, je m’en moque, si on m’en donne un par an comme une exemption, quand j’aurai été sage. Je les aime quand j’en ai trop.

« Tu as un coup de marteau, mon garçon ! » m’a dit ma mère un jour que je lui contais cela, et elle m’a cependant donné une praline.

« Tiens, mange-la avec du pain. »

On nous parle en classe des philosophes qui font tenir une leçon dans un mot. Ma mère a de ces bon-