Page:Julien empereur - Oeuvres completes (trad. Talbot), 1863.djvu/236

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pensait donc que la mort n’a rien d’effrayant, ni de douloureux. Pour nous, qui avons aussi adopté le bâton, nous savons, de science plus certaine, que, si la mort est un mal, la maladie est un fléau pire que la mort même, mais que le pire de tout, c’est d’avoir froid[1]. En effet, un malade peut se tenir mollement pendant qu’on le soigne, en sorte que sa maladie peut devenir tout plaisir, surtout s’il est riche. J’ai vu moi-même, par Jupiter, des malades vivre plus doucement qu’en bonne santé, où cependant ils étaient splendidement dans les délices. Ce qui m’a fourni l’occasion de dire parfois à mes amis, qu’ils devaient plutôt envier le sort des domestiques que celui des maîtres, et qu’ils se trouveraient mieux d’être pauvres et nus comme le lis, que riches comme ils étaient. Du moins cesseraient-ils d’être tout ensemble malades et opulents. Tant il y a de gens qui croient beau d’étaler à la fois le faste de leur mal et le mal de leur faste ! Mais l’homme réduit à souffrir le froid et à endurer la grande chaleur, n’est-il pas plus malheureux que les malades ? Il souffre une douleur sans remède.

2. Exposons maintenant sur les cyniques ce que nous avons appris de nos maîtres, et mettons-le au grand jour pour l’instruction de ceux qui ont embrassé ce genre de vie. Si je réussis à les convaincre, ils n’en seront pas moins bons cyniques, je crois ; si je ne les convaincs pas, et que, suivant une route brillante et glorieuse, ils se placent au-dessus de mes préceptes non point par leurs paroles, mais par leurs actions, mon discours n’y mettra point d’obstacle. Mais s’il en est qui, par gourmandise ou par mollesse, ou, pour tout dire en un mot, par asservissement aux plaisirs du corps, font fi de nos leçons et s’en moquent, comme les chiens qui pissent le long des propylées des écoles et des tribunaux, Hippoclide n’en a cure[2], et nous, nous n’avons nul souci des méfaits de ces petits aboyeurs.

3. Reprenons ici de plus haut, et divisons notre sujet par chapitres, afin que, donnant à chaque chose l’importance qu’elle mérite, nous trouvions plus facile ce que nous nous sommes proposé et que nous t’en rendions la marche plus

  1. Voyez plus loin, Misopogon, 3, où Julien raconte les maux qu’il a endurés pendant l’hiver passé à Lutèce.
  2. Lucien emploie aussi ce proverbe : Apologie pour ceux qui sont aux gages des grands, 15. On en trouvera l’explication dans Hérodote, liv. VI, chap. 127 et suivants.