Page:Julien empereur - Oeuvres completes (trad. Talbot), 1863.djvu/241

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et qu’on ne pénètre point dans l’intérieur de la ville, et que, en les voyant, on se figure que c’est la ville munie, on serait malheureux en la quittant à l’instant et plus malheureux encore en demeurant dans ces régions basses, lorsque, en s’élevant un peu, on pourrait voir Socrate[1]. Car je me sers ici des propres paroles d’Alcibiade faisant l’éloge de son maître, et je dis que la philosophie cynique ressemble beaucoup aux Silènes[2] qu’on voit devant les ateliers des statuaires, et auxquels les artistes font tenir des syrinx ou des flûtes : on les ouvre, et on aperçoit dans l’intérieur des statues de dieux. Ne tombons donc pas dans la même erreur en prenant au sérieux les plaisanteries de ces philosophes. Peut-être s’y trouve-t-il quelque chose d’utile, mais le cynisme est une tout autre affaire, comme j’essayerai bientôt de le démontrer. Poursuivons donc la discussion d’après les faits, et soyons comme des chiens de chasse qui courent sur la piste de la bête.

[7] II n’est pas facile d’indiquer le fondateur auquel il faut faire remonter la secte, bien que quelques-uns l’attribuent à Antisthène ou à Diogène. Car Œnomaüs[3] remarque avec raison qu’on dit le cynisme et non pas l’antisthénisme ou le diogénisme. Aussi les plus illustres des chiens prétendent-ils que le grand Hercule[4], qui a été pour nous l’auteur d’une infinité de biens, laissa aux hommes le glorieux modèle de ce genre de vie. Mais moi, qui aime à parler avec respect des dieux et des mortels qui se sont acheminés vers la vie immortelle, je suis convaincu que, avant Hercule, il y a eu des cyniques, non seulement chez les Grecs, mais chez les barbares. En effet, c’est une philosophie qui semble commune, toute naturelle, et qui ne donne pas grand embarras. Il suffit de choisir le bien par amour de la vertu et par fuite du vice. On n’a pas besoin de feuilleter des milliers de volumes, vu que l’érudition ne donne ni l’esprit, ni la force de supporter les inconvénients auxquels sont exposés ceux qui se livrent aux autres sectes. Tout se borne ici à écouter la voix d’Apollon Pythien quand il dit : « Connais-toi toi-même », et « Bats monnaie » [5].

  1. Voyez Platon, Banquet, xxx.
  2. Platon, id., xxxvi, à la fin, et XXXVII. — Cf. Xénophon, Banquet, IV, t. I, p. 219 de notre traduction, et Rabelais, prologue de Garqantua.
  3. Cynique, qui a fait un livre contre les oracles cité par Eusèbe.
  4. Cf. Lucien, le Cynique et le Banquet ou les Lapithes, 16.
  5. Voyez pour l’explication de ce second précepte le commencement de la biographie de Diogène dans Diogène de Laërte, à l’endroit cité.