Page:Kahn - Symbolistes et Décadents, 1902.djvu/26

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médies et surtout traductions poétiques d’œuvres purement musicales. Il n’en fut que quelques conversations, mais je garderai toujours le bon souvenir de l’accueil du pauvre grand poète, dompte par la métrique parnassienne, génial et sans métier, dans ce salon carrelé noir et blanc de la rue de l’Odéon, avec une petite table couverte d’un immense tapis de velours rouge, des livres empilés dans les coins, des fragments d’appareils pour sa photographie des couleurs, dispersés sur la cheminée et sur des chaises, et où je compris que Charles Cros était vraiment un grand homme et supérieur à la vie, c’est que lorsqu’il voulut, le même jour, me donner un exemplaire de son Coffret de Santal, il fallut pour le trouver, déranger des bibliothèques, des musées, des estampes, des vêtements, des enfants, des jouets, des tables à ouvrage pour dénicher enfin, à la suite d’une chasse qui seyait admirablement à son air de trappeur, le précieux petit bouquin ; quant à nos projets communs, nous en recausâmes, mais la vie est si courte. Je parlais très vite à Cros de mon admiration pour Mallarmé, il répondit : « C’est un Baudelaire cassé en morceaux, qui n’a jamais pu se recoller » ; je lui parlais de Verlaine, disparu, évanoui, et de Rimbaud. Cros avait connu Rimbaud, il avait notion de beaux vers qu’il avait oubliés ; il en voulait à Rimbaud de ceci : il avait donné l’hospitalité à Rimbaud. Or, Rimbaud avait avisé sur le coin d’une commode une pile de livraisons de l’Artiste. Ces livraisons contenaient les poèmes qui forment le Coffret de Santal. Cros, naturellement, ne les regarda que le jour où il fut question de les remettre aux mains de Mme Tresse pour