Page:Kahn - Symbolistes et Décadents, 1902.djvu/53

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était égal ; pour l’intelligence de ce propos on se souviendra que Daudet, le plus faible et le moins inventeur des écrivains naturalistes, fut celui qui força le premier le succès, avec Fromont jeune, et plut au masses en vulgarisant la formule naturaliste. Néanmoins, on ne tint pas longtemps rigueur à ces Messieurs de l’extension de pouvoirs qu’ils s’étaient offerts, ou de l’initiative abusive et usurpatrice qu’ils avaient prise. En tout cas, j’y demeurais fort indifférent ; s’ils avaient le Figaro, n’avais-je pas La Vogue, et sachant à quoi s’en tenir, on continuait à marcher ensemble, la jeunesse cordiale étant chez tous (encore que M. Moréas nous devança tous d’un bon lustre), trop forte pour qu’on s’arrêtât longtemps à des misères de publicité.

Jules Laforgue était alors a Berlin, ou aux villes d’eaux d’Allemagne, lecteur de l’impératrice Augusta. Cette place lui avait été assurée par les soins de ce sans-patrie de Paul Bourget, chargé par M. Amédée Pigeon, lecteur précédent, de pourvoir à son remplacement. M. Pigeon ayant appris par la voie du Figaro qu’un petit héritage lui incombait, voulait incontinent retrouver ses loisirs et ses travaux de critique d’art. Il fallait un jeune homme aimable et doux, capable de ne point s’occuper de politique. M. Bourget pensa avec raison que la pitié universelle de Laforgue pourrait être assez forte pour s’exercer au moins quelques années au profit des pauvres puissants de ce monde, et connaissant l’urbanité exquise de Jules Laforgue, il le fit choisir ; c’était d’Allemagne que m’arrivait sur papier bleu criblé de pattes d’abeilles traînées dans