Page:Kahn - Symbolistes et Décadents, 1902.djvu/68

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parcourant on pourra voir que tous nos postulats d’alors ont été accueillis, et sont entrés dans le courant de la langue et ne dérangent plus que de très périmés dilettantes.

L’automne de 1886, j’allais prendre, au débarqué de l’Orient-Express, Jules Laforgue qui revenait d’Allemagne, décidé à n’y point retourner ; il se mariait et essayait de vivre à Paris de sa plume. Par un abandon de ses droits à de petites sœurs très cadettes, Laforgue se trouvait sans fortune aucune, et il n’avait aucune espèce d’économies. Quelques fonds que lui prêtèrent les siens lui fournirent juste de quoi s’installer. Sa santé, assez faible, avait souffert d’un voyage d’biver en Angleterre, où il étaitallése marier, et d’un retour brusque dans un appartement pas préparé en plein froid décembre. Sauf quelques articles au supplément du Figaro, à la Gazette des Beaux-Arts, une chronique mensuelle à la Revue Indépendante, maigrement payée et sans fixité dans les dates, il n’avait rien, La librairie ne voulait point de ses Moralités légendaires, malgré mes conseils il ajournait la publication de ses Fleurs de bonne volonté (que j’ai publiées dans l’année 1888 de la Revue Indépendante) ; ce livre d’ailleurs ne lui eût rien rapporté pratiquement. Laforgue ne trouva pas, dans Paris, trois cent cinquante francs pour ses Moralités légendaires, et ce fut bientôt la misère entière à deux, sans remède, sans amis, qui fussent en mesure de l’aider efficacement. C’était la détresse fièrc et décente, le ménage soutenu par la vente lente d’albums, de collections, de bouquins rares, et puis la maladie aggravée. Il était à peu près certain d’obtenir un poste suffisam-