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À part une demi-douzaine de soldats du train, ces fuîtes d’étapes n’ont aucune garnison. Ils gouvernent pourtant en maîtres absolus tout le pays d’alentour.

Pendant qu’on déchargeait et rechargeait nos bagages, je me suis laissé tenter par un restaurant indigène qui porte comme enseigne une série de chiffons rouges attachés le long d’une ficelle et ressemblant fort à la queue d’un cerf-volant. Les maisons faisant complètement défaut, le gargotier chinois a dû s’installer sous une tente assez spacieuse qu’il a divisée en deux moitiés par un rideau de toile. Derrière, c’est la cuisine ; la partie réservée aux consommateurs est occupée par une large table entourée de bancs et de chaises. Tout ce mobilier d’une saleté repoussante est recouvert d’un mélange de graisse et de charbon. Mais je n’ai rien mangé depuis le matin et notre marche de vingt kilomètres m’a fortement aiguisé l’appétit. Mes gestes et plus encore quelques piastres tirées de ma poche provoquent une bousculade de marmitons gluants de crasse.

Je n’ai que le temps d’ingurgiter le contenu d’une grande théière de cuivre et un ragoût de porc sucré que la faim m’a fait trouver excellent ; tout cela pour la somme de dix sens (vingt-cinq centimes). Notre convoi est déjà reparti et je dois courir pour reprendre ma place à hauteur du chariot sur lequel mes bagages sont amarrés.