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Page:Kant-Fondements de la métaphysique des moeurs, trad. Lachelier, 1904.djvu/54

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FONDEMENTS DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MŒURS.


ment. Or si la nature, en créant un être doué de raison et de volonté, n’avait eu d’autre but que sa conservation, sou bien-être, en un mot son bonheur, elle aurait bien mal pris ses mesures en confiant à la raison de Cet être le soin de réaliser ses intentions. En effet, pour lui suggérer toutes les actions qu’il doit accomplir en vue de cette fin et pour régler toute sa conduite, l’instinct aurait bien mieux convenu et le but de la nature aurait été bien plus sûrement atteint par cette voie que par celle de la raison. Et si, par une faveur spéciale, la raison avait dû êlre accordée à une telle créature, elle n’aurait dû en faire usage que pour se livrer à des considérations sur l’heureuse disposition de sa nature, pour l’admirer, s’en réjouir, remercier la cause bienfaisante à laquelle elle en eût été redevable, mais non pour subordonner sa faculté de désirer à là direction faible et trompeuse d’un tel guide et pour, gâter ainsi l’œuvre do la nature. En un mot la nature aurait empêché que la raison s’attribuât un rôle pratique et élevât la prétention de préparer, avec sa faible perspicacité, le plan du bonheur et les moyens d’y parvenir ; la nature se serait réservé non seulement le choix des fins, mais aussi celui des moyens et aurait, avec une sage prudence, confié l’un et l’autre au seul instinct.

En fait nous observons que plus une raison cultivée se consacre à la recherche des jouissances de la vie el du bonheur, plus l’homme s’éloigne do la véritable satisfaction’. De là chez beaucoup de personnes et

ment fondé sur l’idée de llnalité que l’on peut résumer ainsi : Il faut que toutes nos facultés aient une destination, une lin ; or la raison qui caractérise l’homme n’a pu lui •’Ire donnée pour poursuivre le bonheur, car elle réussit beaucoup moins bien dans celle tache que l’instinct. Le bonheur n’est donc pas la fin

que doit poursuivre la volon’.é d’un être raisonnable.

1. On connaît le passage célèbre de ses Mémoires {th. v)) où MiH déclare que « pour être heureux il n’est qu un seul moyen : prendre pour but de ta vie, non le bonheur, mais quelque lin étrangère au bonheur. »