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Page:Kant-Traité de pédagogie (trad. Barni), 1886.pdf/18

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L’ÉDUCATION DU CORPS.


est pour un père de famille un rôle plus difficile à garder qu’on ne croit. Nous demanderons même à Kant si c’est un rôle naturel, et si l’instinct ne mérite d’être écouté que lorsqu’il est un instinct d’enfant. Quoi qu’il en soit, cette abstention est la première manifestation de l’esprit de discipline, qui doit présider même à ces débuts de l’éducation. C’est une règle à l’usage des parents, en attendant les règles à l’usage des enfants. Et elles ne tarderont guère. Car. par discipline encore en même temps que par hygiène, on endurcira les enfants. Ce qui ne veut pas dire qu’on en fera des ascètes précoces. Mais enfin « un lit dur est plus sain qu’un lit mou », plus sain pour le corps. « Et en général une éducation dure sert beaucoup à le fortifier. » Spencer pense autrement. Ce n’est pas seulement la pédagogie, c’est l’hygiène des gens qui ressemble à leur morale et à leur métaphysique. L’enfant a bien au moins autant de penchant à la mollesse qu’à l’endurcissement. Mais dans la nature, qui est complexe, Kant fait son choix, ce qui n’est pas lui être infidèle. Encore moins irait-il jusqu’à lui faire violence, et il condamne tout le premier cette éducation qui, sous prétexte de faire les enfants robustes, les fait morts. C’était l’éducation russe d’alors, paraît-il. L’important est de ne pas suggérer de besoins aux enfants, et de ne pas leur donner d’habitudes.

On sait que Kant a la haine des habitudes. Il ne se dit point que ne pas donner d’habitudes reviendrait à ne pas élever du tout. En effet pour lui l’éducation est surtout préventive, et consiste à laisser à la moralité la possibilité de naître, et la place où s’épanouir. Or les habitudes d’enfant deviennent des habitudes d’homme. Et la liberté, prévenue par elles, les trouve établies dans l’âme comme autant d’ennemies à déloger. Sans doute le mérite serait double à triompher ainsi de son éducation. Toutefois Kant semble ici préférer modestement que l’éducateur ne nette pas son point d’honneur à engendrer pour l’avenir de glorieux conflits. Et pour n’habituer à rien, le mieux serait d’hahituer à tout. Il