Page:Kant-Traité de pédagogie (trad. Barni), 1886.pdf/17

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
PRÉFACE.


pelle en rien ces pâles ascètes, ces idéalistes en action dont le moyen âge nous a légué l’imposant, mais peu encourageant exemple. Pour n’être pas positiviste, Kant est un moderne. Il est fils du xviiie siècle. Il est disciple de Rousseau. La nature, qui n’est pas tout pour lui, est quelque chose. Et de même, nous le verrons, l’expérience. Cette conciliation de deux tendances et de deux vérités contradictoires en apparence n’est-elle pas d’ailleurs toute l’œuvre et toute la pensée de Kant ?

S’il s’agit du corps, c’est alors surtout que la nature a des droits. Et Kant répète contre certaines pratiques à la mode dans l’éducation de son temps, — et du nôtre, inventions et interventions maladroites d’éducateurs trop civilisés, tels que berceaux, maillots, lisières, des protestations qui étaient elles-mêmes une mode à la fin du xviiie siècle. Aux parents qui s’étonnent que l’enfant emmaillotté crie et se débatte, il propose de faire sur eux-mêmes l’expérience, et d’éprouver jusqu’où ira leur patience de grandes personnes. Toute sa pédagogie consiste provisoirement à respecter la nature, et à croire en elle. Elle apprendra à l’enfant à marcher, même à écrire. Ne pas la contrarier doit suffire à notre ambition. « La première éducation doit être purement négative. » On respectera jusqu’aux cris de l’enfant, tant qu’ils sont naturels. Car ils doivent avoir leur raison d’être. Kant croit aux causes finales. Et il n’est pas à la fois de pure hygiène et de pire discipline que de s’ingénier à les apaiser par des caresses et des chants, ce qui est donner à des marmots un moyen de nous dominer, et leur apprendre, avec le despotisme, le caprice.

Dans cette réserve même, et dans cette attitude tout expectante de l’éducateur, on sent poindre une prévoyante défiance. Rien n’est mauvais sortant des mains de la nature, mais rien n’est bon non plus ; et on a vite fait de tout gâter. Car, pour innocent qu’il soit, le naturel de l’enfant a une singulière propension à se laisser corrompre ; et s’abstenir