Page:Kant-Traité de pédagogie (trad. Barni), 1886.pdf/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
70
KANT. — PÉDAGOGIE.


se servir de leurs forces. Tout ce que doit faire l’éducation, c’est d’empêcher les enfants de devenir trop mous. La dureté est le contraire de la mollesse. C’est beaucoup trop risquer que de vouloir accoutumer les enfants à tout. L’éducation des Russes va très-loin en ce sens. Aussi meurt-il chez eux un nombre incroyable d’enfants. L’habitude est une jouissance ou une action qui est devenue une nécessité par la répétition fréquente de cette jouissance ou de cette action. Il n’y a rien à quoi les enfants s’habituent plus aisément et il n’y a rien qu’on doive moins leur donner que des choses piquantes, par exemple du tabac, de l’eau-de-vie et des boissons chaudes. Il est ensuite très-difficile de s’en déshabituer, et cela occasionne d’abord quelque incommodité, parce que la jouissance répétée introduit un changement dans les fonctions de notre corps.

Plus un homme a d’habitudes, moins il est libre et indépendant. Il en est des hommes comme des autres animaux : ils conservent plus tard un certain penchant pour ce à quoi on les a de bonne heure accoutumés. Il faut donc empêcher les enfants de s’accoutumer à quelque chose, et ne laisser naître en eux aucune habitude.

Beaucoup de parents veulent accoutumer leurs enfants à tout. Cela ne vaut rien. Car la nature humaine en général et en particulier celle des divers individus ne se prêtent pas à tout, et beaucoup d’enfants en restent à l’apprentissage. On veut, par exemple, que les enfants puissent dormir et se lever à toute heure, ou qu’ils mangent à volonté. Mais il faut, pour pouvoir supporter cela, un régime particulier, un régime qui fortifie le corps et répare le mal que fait ce système. Nous trouvons d’ailleurs dans la nature bien des exemples de